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Tribune

Opinion | Universités : de quelle excellence parle-t-on ?

Alors que les gouvernements nationaux érigent l’excellence en critère de soutien à la recherche publique face aux défis sociétaux, les communautés scientifiques parviendront-elles à s’accorder sur une définition de l’excellence académique ? (Par Jérôme Vicente, professeur d'économie de l'innovation à Sciences-Po Toulouse)

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Par Jérôme Vicente (professeur d'économie de l'innovation à Sciences-Po Toulouse)

Publié le 30 déc. 2021 à 12:33Mis à jour le 31 déc. 2021 à 11:25

Ces dernières années, les universités ont connu un changement majeur à travers le déploiement de dispositifs d’incitations centrés sur l’excellence. Déjà très développés au niveau des individus et des collaborations entre unités de recherche, ils se sont également étendus au niveau institutionnel des universités (les "university grants"), au fur et à mesure que les autorités gouvernementales renforçaient leurs prérogatives dans le financement par projet de la recherche. La question de l’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs à ce dernier niveau, rangés sous le vocable d’"initiatives d’excellence", a été largement débattue, mais demeure encore controversée. Elle requiert une définition plus approfondie des objectifs d’excellence, en même temps qu’un approfondissement des indicateurs d’impact à évaluer. 

Impact scientifique versus impact sociétal

Traditionnellement, on distingue deux types d’impact : l’impact scientifique, associé à la création et l’accumulation de connaissances ; et l’impact sociétal, associé au transfert de ces connaissances vers la société.

L’impact scientifique repose sur divers indicateurs bibliométriques qui constituent la matière première des classements internationaux d’universités. Pensons au classement de Shanghai, qui tient en alerte aoutienne les gouvernances d’universités. Cet impact se mesure le plus souvent au sein de communautés disciplinaires, l’excellence scientifique s’appuyant sur la reconnaissance des plus grandes avancées au sein d’une discipline, valorisées au sein de journaux dits "top 5". Chaque université fera alors valoir ses positions dans les classements internationaux. Cet impact est peu sensible aux frontières. Il définit ainsi des positions peu réversibles dans la compétition internationale, via la mobilité des chercheurs. Les effets de rétroactions symétriques entre la notoriété individuelle du chercheur et celle de l’université étant forts, le bénéfice en termes d’obtention de moyens est réciproque et auto-renforçant.

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L’impact sociétal, lui, repose sur des indicateurs de transfert variés (licences, créations d’entreprises, expertises privées, expertises pour l’action publique, dissémination dans les médias et la société). Le travail scientifique dédié à la recherche de cet impact fait plus appel à l’interdisciplinarité et à des équipes dédiées mixant différentes sciences de l’ingénierie technologique et sociale, valorisées aussi bien dans des revues scientifiques dédiées que reconnues par les financeurs pour la qualité de l’expertise. Il s’arrime principalement aux écosystèmes régionaux et nationaux, du fait des interactions nécessaires à la réalisation de ce transfert. En effet, les connaissances scientifiques se diffusent dans la société, telle de la matière gazeuse non maitrisable. Leur débordement de l’université vers la société passe par des interactions volontaires et un pilotage de nature participative, auxquels les chercheurs ne peuvent se soustraire s’ils souhaitent apprécier l’apport de leur expertise aux avancées technologiques et sociétales.

Assumer l’inconfort

Pris ensemble, ces deux missions peuvent répondre à des objectifs d’excellence potentiellement conflictuels, aussi bien du point de vue des financeurs, des chercheurs, que de la gouvernance des universités au beau milieu. Leur complémentarité semblerait pourtant une évidence. Elles répondent néanmoins à des incitations individuelles et collectives ainsi que des interactions science-société sensiblement différentes, dont l’enjeu repose sur l’interopérabilité au travers de dispositifs de recherche et de diffusion adaptés. En pratique, ne sont-ils pas nombreux les exemples, encore récents, où la seule légitimité d’une excellence bibliométrique de quelques chercheurs ou communautés scientifiques a pu conduire à des crises ou controverses marquantes au sein de nos sociétés ? Une prise de conscience a déjà eu lieu. La "Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche" (2012), et "Le Manifeste de Leiden" (2015) en sont des marqueurs. Ils proposent des cadres d’évaluation dans lesquels la bibliométrie conserve sa vertu de mesure de l’impact scientifique, mais repositionne celle-ci dans un cadre plus large de mesures d’impact sociétal qui restent à promouvoir. Bien que les principales agences de recherche et quelques universités à travers le monde ont déclaré leur volonté d’adhérer à ces nouveaux principes de l’évaluation, leur mise en œuvre requiert d’assumer un certain inconfort et une volonté de gérer les contradictions inhérentes au renouveau de pratiques et d’organisation de l’activité de recherche. Car si la distribution des objectifs à atteindre n’est pas clairement spécifiée, le risque de voir chacun d’eux s’opposer et s’évincer persiste, avec la montée de tensions peu propices au rayonnement académique.

Les excellences pour la société

Si l’excellence doit demeurer la cible du monde des universités, elle doit se mesurer à l’aune de l’impact scientifique, lequel doit garder sa place dans l’équation de l’excellence académique. Mais si les initiatives d’excellence, qui constituent aujourd’hui une part importante du financement de la recherche, veulent contribuer aux défis complexes et globaux auxquels sont confrontées nos sociétés, une mesure de l’impact sociétal doit s’inscrire dans l’équation en variable multiplicative. C’est à ce prix-là que la communauté scientifique saura d’elle-même s’organiser et inventer les structures de recherche capables de transformer son excellence en un service précieux (pour) et reconnu comme tel (par) la société.

Jérôme Vicente, professeur d'économie de l'innovation à Sciences-Po Toulouse (Université de Toulouse).

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